LE PARADOXE DU HASARD GUIDE
Depuis que l'homme a
pris conscience de son existence, il n'a cessé de tenter de se situer
dans l'univers. Ceci par les sciences, l'histoire mais aussi par l'art.
Ce dernier lui permet à la fois de se représenter en temps
qu'entité existante mais aussi de cerner le monde qui l'entoure.
Depuis les premières peintures rupestres
jusqu'aux œuvres classiques, nous avons tenté d'atteindre la pureté
des traits et des lignes. Ainsi, par la perfection des proportions et de
la perspective nous avons approché l'image parfaite, au demeurant
copie de la réalité.
Plus tard avec l'évolution
des pensées, le peintre a soupçonné que ces techniques
bien que très précises et solidement représentatives,
pouvaient être des barrières à l'expression de la vie.
Les Impressionnistes et leurs précurseurs, tel TURNER, en préférant
la lumière au trait, ont lancé la quête de la réalité.
Peut- être était-ce encore avec un soucis d'imitation cependant
ces procédés ouvraient la porte aux propriétés
aléatoires de la touche du pinceau. Une touche, fruit d'un mouvement,
ayant peut-être un sens dans l’œuvre mais étant l'expression
d'un hasard pour elle-même. Ainsi, le trait a été rompu,
remplacé par la tâche de couleur, déjà les prémices
de l'abstraction. Cependant, même si cette tâche permet de
faire vibrer les couleurs, de les rendre insaisissables, en fait de les
faire vivre, elle reste tout de même inféodée au désir
d'imitation. C'est avec CEZANNE puis avec les Cubistes que nous découvrons
une fracture majeure, celle de la forme. Ces artistes ont ainsi échappé
à la représentation optique classique du sujet et l'ont réinterprétée
et recréée pour amplifier son expression. Par la reconstruction
en différentes formes géométriques dans de multiples
plans et sous de nombreux angles, ils ont dépassé l'imitation
et la vision de l’œil.
Cependant, dans ce tumulte,
demeure un écueil, celui d'une trop grande méthode, d'une
trop grande arithmétique de réflexion. Pourtant, tout cela
est déjà une très grande évolution, nous découvrons
qu'il existe bien plus d'un langage de l'image. L’œil intègre une
vision de la nature mais l'image peut être bien autre chose dans
les mains de l'homme.
Après avoir tordu, broyé la réalité
dans toutes ses lignes, nous avons bien trouvé une solution, la
tuer. Nous avons ainsi créé des œuvres vides de sens, n'existant
que par elles-mêmes. Nous avons même su nier la matière
dans l'art conceptuel.
Nous avons voulu courtiser la
vie et de dépit, nous préférons l'ensevelir.
Alors où aller... L'art est-il mort ? Il reste peut-être une
faille...
Pourquoi une œuvre est-elle
unique ? C'est par ce qu'elle n'est jamais parfaitement reproductible.
Ainsi, toute création a sa part de hasard. Un trait de pinceau ne
ressemblera jamais à un autre, les possibilités sont infinies.
Alors, pourquoi ne pas utiliser ce hasard dans la genèse de l’œuvre.
Imaginons une peinture aléatoire. Quel barbouillage mais quelle
liberté aussi ! Ce serait peut-être un art absolu, universel,
la création d'un nouveau monde, d'une vie. Cependant, se sont des
hommes qui voient ce monde. Alors dans ce cas, celui-ci même compris
dans son concept du hasard, resterait hermétique, froid, inhabitable
et étranger au sens et aux sentiments. L'art est langage et ce hasard
bien qu’universel est apparemment muet. Mais regardons la nature, n'est-elle
pas le fruit du hasard et de la dynamique de l'évolution, de mutations,
d'accidents en tous genres et pourtant elle s'épanouit et nous fait
exister. L'art doit donc être propulsé par ce hasard et guidé
par l'artiste qui ne fait que l'orienter. C'est ce hasard qui doit donner
sa force à l'art en se canalisant dans l'artiste qui quelque part
reste en partie spectateur. Nous assistons ainsi à la naissance
d'un peu de vie. En fait, tout œuvre suit ce concept de réalisation
mais en général celui-ci y est hautement bridé par
l'artiste, sa technique, les règles.
L'art doit être dans la maîtrise d'un
paradoxe, le hasard guidé.